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3 juillet 2018

Colloque LPS et construction : des constats … et des pistes d’évolution

Le 25 juin à la Maison du Barreau de Paris, près de 150 personnes sont venues échanger et écouter des spécialistes du sujet, représentants des différentes familles de professionnels impliqués dans le domaine : courtiers, agents, experts juridiques, assureurs pratiquant la branche. Des discussions parfois animées, pour un constat partagé : l’Europe de l’assurance reste à parachever.

L’affluence au Colloque coorganisé par PLANETE CSCA avec AGEA, CGPA, le cabinet d’avocats Choisez et Ergo a démontré, s’il le fallait, l’importance que revêt, plus que jamais, la nécessaire concertation et mise en commun, entre professionnels, des réflexions pour tenter de résoudre ce qui est devenu un enjeu de place majeur en assurance construction (comme ce fut le cas également en RC médicale il y a quelques années) : comment s’assurer que les opérateurs qui souscrivent des branches longues en France sous le régime de la LPS soient contrôlés de manière beaucoup plus efficace ?

Avec le recul, un effet domino prévisible … ?

A l’heure actuelle, la situation est en effet délicate : dommages-ouvrage et RC décennale confondues, ce serait environ 100 000 contrats, dont 20 000 en DO et 80 000 entreprises, qui seraient concernés par le défaut en cascade récent de plusieurs sociétés d’assurance (depuis Gable fin 2016 à Acasta en ce mois de juin 2018, en passant par Elite, CBL…), soit de l’ordre de 10% de parts de marché (qui représente 2 Md€ de primes encaissées). Et le nombre de contrats concernés est amené à se développer. Sans vouloir « prendre parti ni faire le procès en inquisition de la LPS », Christian Bellissen, Directeur Général d’Ergo France, a rappelé que le but du colloque était de faire émerger les bonnes pratiques, les professionnels étant a priori les mieux placés pour s’autoorganiser, dans l’intérêt de la protection de la clientèle et de la clarification du jeu des responsabilités. Christian Bellissen, qui suit le sujet de la LPS depuis des années, a retracé l’historique des acteurs aujourd’hui au cœur du marasme dans la branche construction française, depuis la création en 2003 de SFS en passant par le rachat en 2011 de CBL par EISL (en 2013, le groupe CBL encaissait 134 M€ dont 66% en France, avec une notation « B+ ») … jusqu’au dénouement actuel.

La question clé de l’accès à des données fiables et précises

A la lueur rétrospective de l’enchaînement des faits, il peut apparaître plus facile de s’interroger sur certains éléments qui auraient pu, à l’époque, mettre la puce à l’oreille des différents intervenants du marché. Dans tous les cas, c’est l’absence de données fiables et précises sur la solidité financière des porteurs de risques en question qui est clairement apparue. Mais, dans la mesure où ceux-ci disposaient, pour exercer sur le marché français, d’un agrément administratif en bonne et due forme de leurs superviseurs respectifs, les souscriptions ont pu se poursuivre plusieurs années… d’autant que les opérateurs en question comblaient la place laissée délibérément vacante par plusieurs grands assureurs dits traditionnels. « Les compagnies traditionnelles devraient se remettre en question… C’est à cause d’elles que beaucoup de courtiers ont recours aux acteurs en LPS, qui permettent une facilité de souscription et une réactivité dans la tarification dont elles pourraient s’inspirer… Par ailleurs, les rares assureurs traditionnels qui continuent de souscrire en construction n’acceptent que les courtiers d’une certaine taille, ou qui ont une affaire qui représente un chiffre d’affaires conséquent. Autant dire que les petits courtiers de proximité rencontrent beaucoup de difficultés pour obtenir des codes… », observe Corinne Rapezant, de Coreazur, courtier basé à Nice qui a assisté au colloque.

Le partage des informations, une solution ?

La superficialité, voire le caractère sciemment erroné, des quelques éléments transmis par les sociétés qui ont fait défaut, a en tout cas amené les participants à s’interroger sur les sources possibles d’informations financières fiables et précises. Il est par exemple apparu que la presse spécialisée, il y a une dizaine d’années, s’était fait l’écho de rumeurs concernant un acteur LPS en construction dont la réputation semblait déjà sujette à caution. Même si l’histoire lui a in fine donné raison, les professionnels ont souligné que la presse ne peut constituer en soi une source suffisante d’informations, d’autant qu’elle peut elle-même faire l’objet de manipulations. Idem pour les « bruits de marché » qui circulent parfois. Il est surtout apparu, lors des échanges, que finalement des professionnels du secteur détenaient en général une partie de l’information, ou un faisceau de présomptions ; et qu’un partage de ces informations aurait, peut-être, permis d’éviter l’hécatombe survenue depuis.  

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PLANETE CSCA, pivot central de diffusion et d’encadrement des bonnes pratiques

« Il pourrait s’avérer utile de créer une sorte de Comité de surveillance de marché qui permette de partager les interrogations (ou constatations) sur les opérateurs qui posent question. Cela permettra de poser les dossiers, et non que chacun reste dans son coin ; ou alors nous allons continuer à jouer les amateurs ! », a plaidé Bertrand de Surmont*, Président de PLANETE CSCA, qui a également souligné le rôle que peut, et souhaite, tenir PLANETE CSCA dans l’encadrement et la diffusion des bonnes pratiques, et la surveillance de marché. Même sans disposer de données financières précises sur tous les acteurs, certains facteurs pourraient ainsi constituer des critères d’interrogation et d’anticipation, a-t-il ajouté : par exemple, lorsqu’un assureur voit son volume d’affaires s’envoler très rapidement. Selon Grégoire Dupont, Directeur Général d’AGEA, les moyens humains dont est dotée la société en question peuvent également constituer un critère objectivable. Le fait que certains noms de dirigeants réapparaissent dans certains dossiers après une première mise en liquidation devrait aussi interroger. Avant de leur céder leurs risques, les courtiers pourraient par ailleurs exiger de tous leurs assureurs des comptes transparents : « Nous les fournissons systématiquement, même sans qu’on nous les demande ; tous les assureurs devraient accepter de le faire », observe Christian Bellissen, Directeur Général d’Ergo France. 

En revanche, parmi les critères évoqués, la notation financière ne fait pas l’unanimité ; elle apparaît en effet comme insuffisante voire potentiellement trompeuse, comme l’a par exemple démontré le cas d’AIG qui, quelque temps encore avant son effondrement, était noté « AAA », soit la meilleure signature. D’ailleurs, des acteurs comme SFS, qui communiquait sur la notation de son réassureur (qui n’intervenait en outre que sur de petites garanties, non sur ses risques principaux), peuvent s’avérer très habiles dans leur communication sur ce point, nécessitant une certaine vigilance.

L’enjeu des responsabilités

Ce qui est certain, ont souligné tous les intervenants, c’est que l’intermédiaire ne peut être un « enquêteur financier ». En ce sens, sa responsabilité ne peut être recherchée, même si « la tentation est bien sûr grande de pointer du doigt l’intermédiaire », a constaté Hervé Lancelot, Directeur Général de CGPA, évoquant les récents écrits du Vice-président de l’ACPR, Bernard Delas. Une tentation qui n’existe d’ailleurs pas seulement en France ; au Royaume-Uni par exemple, les contrats de RC professionnelle des intermédiaires excluent ainsi des garanties la faillite des assureurs. Or, « en tant qu’assureur en RCP des intermédiaires, nous ne sommes pas là pour surveiller le marché ; nous sommes là pour délivrer des garanties obligatoires. Nous étudions les situations dossier par dossier, et faisons de la prévention, en mettant en garde nos intermédiaires assurés contre les acteurs dits exotiques », a-t-il expliqué. Citant notamment la chronique de Jean Bigot de 1998 sur le précédent d’Europa Vie, Capucine Bernier, avocate associée chez Gide Loyrette Nouel, a rappelé qu’il s’agit là d’une problématique ancienne, soulignant que « la doctrine est parfois plus exigeante que la jurisprudence ».

Le cas spécifique des courtiers grossistes

Pour l’avocat Stéphane Choisez, qui s’est longuement exprimé sur l’interaction entre les différents acteurs de la chaîne de distribution, et en particulier sur la mise en jeu possible de la responsabilité des intermédiaires lorsqu’ils travaillent avec un porteur de risques exerçant en LPS, « il n’y a pas de principe général de responsabilité contractuelle du fait d’autrui dans le code civil ». Il existe, certes, des exceptions légales ou, plus rares, dans la jurisprudence, mais « avec ce raisonnement on pourrait chercher la RC de l’Etat pour s’en remettre aux régulateurs étrangers » … Il évoque le fait qu’il avait été demandé à l’ACPR d’avoir une source fiable d’informations, sans retour de la part de l’autorité. De ce point de vue, l’article 312-2 III du Code Monétaire et Financier donne à ses yeux un blanc-seing à l’ACPR, et tend à l’exonérer de toute responsabilité en ce qui concerne les acteurs exerçant en LPS, souligne-t-il. Grégoire Dupont (AGEA) a par ailleurs rappelé que le nouveau régime prudentiel auquel sont soumis les assureurs, Solvabilité 2, met clairement la responsabilité du contrôle des « sous-traitants » délégataires du côté de leur assureur, et non l’inverse.

L’un des paradoxes de la situation actuelle, somme toute positif, a observé Bertrand de Surmont, est qu’elle consacre de fait, pour la première fois, le statut de courtier grossiste, alors que récemment encore, dans le cadre de la DDA par exemple, celui-ci n’était pas admis ou compris, et que PLANETE CSCA a dû monter au créneau pour en clarifier les spécificités. « Il ne s’agit pas de se dédouaner, mais le courtier de proximité est mandaté par le client alors que le grossiste l’est par la compagnie ». Pour Stéphane Choisez, il serait d’ailleurs peut-être temps de créer un statut européen du courtier grossiste.

Les limites du modèle européen

Autre point d’accord entre les intervenants : la situation actuelle démontre les limites de l’Europe de l’assurance. « Le régime de la LPS a été voulu par les régulateurs européens. Or, c’est ahurissant : on constate que les régulateurs se jugent incompétents les uns les autres ! Que chacun fasse son boulot ! », a résumé, de façon très directe, Stéphane Choisez. Pour Grégoire Dupont, « le vrai sujet est que l’Europe n’est pas aboutie. C’est la même problématique que pour les paradis fiscaux ou le dumping social entre Etats membres : nous bricolons avec la LPS etc. mais nous avons toujours des marchés distincts. Se pose alors la question de savoir à quel moment nous en sommes dans l’histoire : soit l’Europe se délite, soit nous sommes dans une nouvelle phase/nouveau cycle d’essais suivi d’erreurs, et on repart. La DDA introduit bien quelques petites choses, mais ce n’est pas le grand soir de la régulation ». Justement, si elle était déjà en vigueur, la DDA aurait-elle empêché cette hécatombe ? Pour Grégoire Dupont, si elle n’aurait sûrement rien empêché, elle crée malgré tout de nouvelles prérogatives, avec des remontées d’informations à l’EIOPA et la possibilité d’un contrôle conjoint des deux superviseurs concernés par un acteur (l’autorité du pays d’origine et celle du pays d’accueil). 

En conclusion, tous les intervenants et participants ont convenu que le débat était loin d’être clos. D’autant que l’ampleur réelle des conséquences de ces faillites en cascade ne sera connue que dans quelques mois ou quelques années ; d’où la nécessité d’une plus étroite concertation entre les différents acteurs de la profession, comme l’appelle de ses vœux Bertrand de Surmont*.

* Retrouvez la tribune de Bertrand de Surmont sur le sujet ICI

Catherine Dufrêne
« Il s’agit d’un marché qui nécessite solidité financière, technicité et historique »

Les assureurs étaient également représentés lors du colloque. Michel Klein, Directeur indemnisation de la MAF (Mutuelle des Architectes Français assurances), a décrit les problématiques propres aux assureurs construction : celles liées à la gestion des provisions, dans un régime géré par capitalisation, et qui est tributaire des produits financiers (« qui donnent des cheveux blancs ») et de l’inflation. « Dans les périodes de forte activité, les assureurs doivent augmenter leurs provisions ». La durée des engagements et de la gestion des sinistres est également une spécificité forte. La MAF affichait, au 31 décembre 2017, 200,4 M€ de cotisations émises pour 3,05 Md€ de provisions techniques brutes de réassurance. Concernant le contexte, à ses yeux « tout le monde est éclaboussé dans ce système ; personne n’en sort indemne. L’assuré, en étant attiré par l’Eldorado, a aussi sa part de responsabilité. Pour l’instant, MAF n’a pas fait d’appel en garantie contre des courtiers ; nous réfléchissons à notre stratégie de défense… »