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19 septembre 2016

​Une ouverture du marché de l’assurance emprunteur à la peine

Le marché peine à s’ouvrir malgré des dispositions majeures ces dernières années visant à favoriser la concurrence entre les banques d’une part, et les assureurs et les courtiers d’autre part. A la fois demandeuses et bénéficiaires de ces couvertures, les banques détiennent un droit de regard sur l’assurance emprunteur choisie par leur client. Dans ce contexte, difficile pour les assureurs et les courtiers de renverser le marché du jour au lendemain.

Où en est le marché de l’assurance emprunteur ?

Dans les faits, la part de marché des assureurs et des courtiers est à ce jour de 15,5 % pour les assurances de prêts immobiliers, les banques souscrivant près de 84,5 % de ces contrats, soit une ligne de partage qui n’a que peu bougé depuis 2010, année où la Loi Lagarde avait favorisé l’accès aux assureurs et aux courtiers du marché de l’offre emprunteur.

Effective pour les contrats signés après le 26 juillet 2014, la loi Hamon permet aux assurés de changer d’assurance emprunteur durant les douze mois suivant la date d’acceptation de leur offre de prêt. A cela s’ajoute, depuis octobre 2015, l’obligation de la part des banques de justifier du refus d’une assurance en délégation en se rapportant à des critères d’équivalence établis par le Comité consultatif du secteur financier (CCSF).

Face à cette ‘’offensive législative’’, les banques ne se sont pas laissées faire et proposent à leurs clients des offres ‘’de défense’’ ou bien des baisses tarifaires sur leurs contrats groupe.

Les banques accrochées aux assurances emprunteurs

christophevanhuyse« Ayant bénéficié d’une large communication auprès du grand public, les modifications apportées par la loi Hamon ont eu un impact positif. Nous commençons à recevoir des demandes de changement d’assurance mais le démarrage a été compliqué, notamment parce que les banques se mobilisent en vue de conserver leurs parts de marché », note Christophe Vanhuyse, directeur du développement Assurance Emprunteur chez SwissLife.

Elles n’hésitent pas non plus à se réfugier derrière un infime détail pour arguer du refus d’une assurance emprunteur en délégation. D’autant que, en cette période où les taux d’intérêt sur les prêts sont très bas, les revenus générés par ces polices sont bien appréciables !

Le bon moment pour la renégociation
Une proportion importante d’emprunteurs a d’ailleurs profité de cette baisse pour renégocier son taux de prêt et, inévitablement, son assurance. Un nouveau contrat de prêt leur confère la possibilité de revoir cette couverture pendant un an, comme stipulé dans la loi Hamon.

Fin mars, SwissLife a lancé un nouveau contrat assurance emprunteur. Celui-ci cible les primo-accédants, la clientèle patrimoniale investissant dans des résidences locatives, secondaires, les investissements professionnels, ainsi que les personnes présentant des risques spéciaux (capitaux élevés, risques de santé aggravés, risques de séjour…). Parallèlement, la compagnie s’est dotée d’un nouveau département emprunteur, constitué actuellement d’une équipe de neuf spécialistes dont deux experts des risques spéciaux.

Elle a mis en place un nouvel outil de souscription et de suivi entièrement dématérialisé. Pour certaines pathologies, l’outil rend une décision immédiate permettant d’obtenir son certificat d’assurance en un seul rendez-vous, ce qui évite à l’emprunteur d’avoir à consulter son médecin et lui fait gagner quelques jours en termes de délai. De plus, il donne la possibilité aux clients et aux partenaires de suivre les dossiers en temps réel.

pierrehaasChez Aviva France, on a constaté une reprise du marché de l’immobilier et des assurances liées aux deuxième et troisième trimestres 2015 et, après un premier trimestre 2016 décevant, les affaires ont redémarré début mai.

« En 2015, notre portefeuille emprunteur a crû de plus de 6 000 contrats et, de janvier à mai 2016, nous avons conquis plus de 2 000 nouveaux clients sur ce segment grâce à la hausse du nombre de nos distributeurs (agents généraux et courtiers), séduits par la qualité de notre produit et de notre souscription », relate Pierre Haas, directeur de l’offre emprunteur au sein de la compagnie d’assurance. Aviva confirme aussi sa présence sur le marché du courtage en crédit. Un marché important puisqu’il représente environ la moitié de la production d’assurances emprunteurs non délivrées par les banques.

 

Une nouveauté et des interrogations en assurance emprunteur

Dans le cadre de la convention Aeras (s’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé), une grille de référence a été adoptée en février 2016 afin de mettre en œuvre le ‘’droit à l’oubli’’ à l’égard d’anciens malades, sans attendre le délai de 10 ans prévu par la loi. Y sont répertoriés cinq types de cancers et l’hépatite C. En fonction des propositions de l’Institut national du Cancer, d’autres affections devraient trouver leur place dans cette grille. Si c’est un premier pas, associations de patients, médecins, certains ne manquent pas de souligner une liste ‘’trop timide’’.

Code des assurances ou Code de la consommation ?
Par ailleurs, depuis le printemps 2015, suite à l’entrée en application de la loi Hamon et à la possibilité de résilier une assurance emprunteur, plusieurs cas de jurisprudence sont venus se contredire. Ceux-ci concernent des contrats signés avant l’entrée en vigueur de cette loi (conclus avant le 26 juillet 2014) qui ne prévoyaient pas une éventuelle résiliation.

Le 23 mars 2015, dans une affaire relative au droit de résiliation et de substitution, la Cour d’Appel de Bordeaux (1) a donné raison à l’assuré contre l’établissement bancaire. Elle a jugé qu’un particulier avait le droit de résilier son contrat à l’expiration d’un délai d’un an en envoyant une lettre recommandée a minima plus de deux mois avant la date d’échéance. Ensuite, la Cour d’Appel de Douai (2) a, elle aussi, reconnu par deux fois à un emprunteur le droit de résilier chaque année sa couverture s’il en informe son assureur deux mois avant la date anniversaire du contrat.

Sauf que la Cour de Cassation (3) est venue casser, le 09 mars 2016, l’arrêt de la Cour d’Appel de Bordeaux, décidant qu’un particulier ne peut résilier un contrat d’assurance emprunteur sur une base annuelle pour les polices antérieures au 26 juillet 2014. Selon la haute juridiction, cela tient à ce que les dispositions applicables relèvent du Code de la consommation et non de celui des assurances, bien que le Code de la consommation ne comporte aucune mention à l’égard de la résiliation des couvertures emprunteurs. En mai 2016, la Cour de Douai a, une nouvelle fois, reconnu le droit de résiliation et de substitution, ne tenant pas compte de l’arrêt rendu deux mois plus tôt par la Cour de Cassation.

Besoin urgent d’une clarification
« Nous sommes dans l’attente d’une nouvelle décision de la Cour de Cassation. Une clarification s’impose rapidement. Il ne faut pas perdre de vue que la banque est bénéficiaire de l’assurance emprunteur et qu’elle a toujours son accord à donner vis-à-vis de ces garanties », souligne Christophe Vanhuyse (SwissLife).

« En l’absence d’une lecture commune de la version de juillet 2010 de l’article L 312-9 du Code de la consommation par les différentes Cours, nous déconseillons fortement aux assurés ayant contracté un emprunt avant le 26 Juillet 2014 de tenter la substitution d’assurance », relève Pierre Haas.

Enfin, une proposition de loi relative à l’assurance emprunteur (et susceptible, ou non, de devenir un projet de loi), a été déposée à l’Assemblée nationale par des députés de l’opposition le 27 avril 2016. Elle viserait à faire reconnaître l’alignement de la durée du contrat emprunteur à celle du prêt en cas de remboursement anticipé (article 1).

Une autre disposition (article 2) imposerait à la banque de notifier à l’emprunteur et à l’assureur par lettre recommandée l’arrivée à terme du prêt. « Ce serait une contrainte supplémentaire pour la banque. Si elle devenait effective, elle pourrait être un argument de plus à la faveur du banquier pour inciter ses clients à prendre le contrat collectif de l’établissement bancaire », pointe Christophe Vanhuyse.

  1. Cour d’appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, section A, n° 13/0723
  2. Cour d’appel de Douai, 3ème Chambre, n°14/01655 et n° 14/01657
  3. Civ. 1ère, 9 mars 2016, n° 15-18899 et 15-19652, publié au Bulletin

Des couvertures très variables suivant les contrats

Depuis le début des années 2000, les emprunteurs ont bénéficié de la concurrence sur les prix des assurances. Auparavant, leur seul choix résidait dans le contrat collectif proposé par la banque. Une couverture dont les garanties décès, incapacité et invalidité sont complexes à tarifer. Ainsi, l’équipe médicale de SwissLife a récemment été renforcée d’un tarificateur spécialisé en risques aggravés.

Chez Aviva, le taux de refus sur l’assurance emprunteur est de 2 à 2,5 %, soit la proportion moyenne relevée chez l’ensemble des porteurs de risques présents sur ce segment. En 2014, trois millions de demandes ont été adressées auprès des sociétés d’assurances dans la perspective de crédits immobiliers ou de prêts professionnels. Parmi celles-ci, 14,2 % (plus de 420 000 demandes) présentaient un risque aggravé de santé.

Des différences selon le mode de calcul
Le mode de calcul de la prestation des garanties incapacité de travail et invalidité peut revêtir deux formes différentes. Il peut être évalué soit de manière forfaitaire, soit de manière indemnitaire. Si le mode forfaitaire est appliqué, la totalité des primes due à la banque est réglée par l’organisme assureur. En revanche, si le mode indemnitaire prévaut, celui-ci s’enquiert auprès de l’assuré des sources de revenus dont il dispose. Au cas où un organisme de prévoyance lui verse un revenu, le montant acquitté au titre de l’assurance emprunteur sera inférieur parce que ces revenus seront pris en compte.

« Au moment de la signature de l’assurance emprunteur, il est essentiel d’attirer l’attention du client sur ce point et de l’inciter à opter pour un produit appliquant le principe forfaitaire, recommande Pierre Haas. Sinon, il risque d’avoir des déconvenues ».

Autre point d’attention : l’évaluation du taux d’invalidité qui est, en général, basée sur un barème croisé en fonction des taux d’incapacité fonctionnelle et professionnelle. Selon que l’incapacité professionnelle est directement liée à sa profession exercée au moment du sinistre ou à toute profession, les conséquences en matière de prestations peuvent être dramatiquement différentes.

Des garanties perte d’emploi moins souscrites
Selon la Fédération française de l’assurance (FFA), les cotisations d’assurance emprunteur se répartissaient comme suit en 2014 : 70 % au titre des garanties décès (5 843 M€), 27 % au titre des garanties incapacité-invalidité (2 284 M€) et 3 % au titre des garanties perte d’emploi (249 M€). Les cotisations des garanties incapacité-invalidité et décès étaient respectivement en hausse de 2 % et 1 %, cette même année, mais celles sur les garanties pertes d’emplois étaient en baisse de 18 %.

En France, les cotisations des contrats emprunteurs totalisaient 8,4 Md€ en 2014, et leur part dans l’encours des crédits des ménages était de 0,7 %. En délégation d’assurance, les primo-accédants souscrivent essentiellement auprès des courtiers en crédit, en général pour l’achat de la résidence principale, avec un prêt d’un montant moyen de 150 000 à 200 000 €. La clientèle patrimoniale et présentant des risques aggravés se tourne plutôt vers les courtiers d’assurances en vue de se prémunir contre ces risques.

Geneviève Allaire