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25 janvier 2021

Libre prestation de services : les modalités de la supervision des acteurs doivent évoluer pour restaurer la confiance

Le 14 octobre 2020, l’association des Souscripteurs Internationaux de Paris (SIP) organisait une conférence sur le thème de la libre prestation de services (LPS), intitulée : « assureurs LPS et/ou sans notation financière : ce qui a changé depuis 2016… ou pas ».

Ludovic Daugeron, responsable juridique Métier et Conformité de PLANETE CSCA, est intervenu aux côtés de Christian Bellissen (Directeur général, ERGO France), Maître Stéphane Choisez (cabinet CHOISEZ & Associés) et Florent Lacas (rédacteur en chef de Bati Actu) afin de faire le point sur ce sujet sensible qu’est le recours à la LPS en assurance construction.

Les intervenants se sont tout d’abord attachés à dresser un état des lieux des différentes faillites ou arrêts de souscription d’assureurs étrangers intervenant en LPS sur le secteur de l’assurance construction. Il est vrai que la liste des assureurs concernés s’allonge avec le temps : Enterprise Insurance (Gibraltar), Gable Insurance (Liechtenstein), Alpha (Danemark), Elite (Gibraltar), Acasta (Gibraltar), CBL (Nouvelle Zélande et Irlande), Qudos (Danemark), Gefion (Danemark)…
Les effets de ces faillites et des arrêts de souscription se font ressentir sur le marché français avec les premières difficultés d’indemnisation des sinistres, les actifs de la liquidation étant souvent insuffisants, mais aussi avec la nécessité de replacer, parfois dans l’urgence, les risques pour lesquels les contrats ont été résiliés de façon brutale. Tous s’accordent à dire que le pire est certainement à venir, la plus grande masse des sinistres construction risquant de se produire dans les prochaines années. Tous remarquent également à cette occasion que le droit de l’État d’origine (Gibraltar notamment) n’est pas aussi protecteur des assurés en cas de liquidation de l’assureur que le droit français. Les décisions sont souvent brutales et l’accompagnement des clients, lointain et quasi-inexistant.

Lorsqu’il s’agit de déterminer les causes de cette crise, profonde et durable, plusieurs acteurs sont très précisément pointés du doigt (dont un courtier grossiste, aujourd’hui disparu), avec le risque de faire porter la responsabilité exclusive de la situation à la profession du courtage d’assurances. Or, il est essentiel de prendre du recul sur la situation rencontrée afin d’en comprendre tous les rouages et déceler les pistes de solutions. Cette analyse minutieuse suggère que les origines de cette crise sont en réalité multiples.

En premier lieu, le recours à la Libre Prestation de Services pose immanquablement la question de la supervision des acteurs étrangers intervenant sur le marché français depuis leur État d’origine. Ainsi, le contrôle prudentiel (donc de la bonne solvabilité) de l’assureur étranger revient uniquement
à son superviseur local. Cette mission de supervision est, en cas de recours à la LPS, particulièrement
ardue pour ce superviseur puisqu’il devra immanquablement comprendre les particularités des risques étrangers assurés (règles juridiques applicables à la souscription et au sinistre, règles de provisionnement…). Ne pas maitriser ces règles et ne pas les appliquer, revient à laisser une grande place au hasard, ce que l’assurance tolère difficilement.

Il est aujourd’hui communément admis que cette supervision locale a parfois failli. L’ACPR a été pointée du doigt mais force est de constater que ses pouvoirs étaient, jusqu’à présent, très limités en la matière. La directive Solvabilité 2 et celle sur la Distribution d’Assurances ont depuis lors renforcé la coopération entre les superviseurs nationaux et la faculté d’intervention directe du superviseur de l’État d’accueil…
mais le mal était déjà fait.

Ensuite, le contexte de l’époque a immanquablement joué un rôle dans la survenue de cette crise. Le marché français de l’assurance construction a progressivement durci ses règles d’acceptation des risques, rendant l’accès à l’assurance difficile pour certaines typologies de risques ou d’acteurs (notamment les jeunes entrepreneurs ne disposant par essence que d’une faible antériorité). Progressivement, les assureurs français n’ont plus répondu totalement à ces besoins spécifiques, laissant la place ainsi libre à d’autres acteurs.

Parallèlement, les assureurs français ont progressivement rationalisé leurs codes courtiers afin de se recentrer sur leurs distributeurs les plus actifs. Les apporteurs ainsi délaissés ont trouvé un palliatif en recourant aux services de courtiers grossistes. Ces deux facteurs cumulés ont
donc laissé un véritable terrain de jeu à certains acteurs souhaitant pénétrer le terrain de l’assurance construction.

Enfin, la question de la responsabilité des intermédiaires d’assurance a été évoquée, à deux niveaux distincts.

En premier lieu, via le prisme de la responsabilité du courtier grossiste aujourd’hui disparu, dont il est apparu que son contrôle par les porteurs de risque, et par ricochet par le superviseur compétent, était insuffisant.

En second lieu, sous l’angle de la responsabilité des intermédiaires de proximité ayant proposé à leurs clients la souscription des contrats portés par les assureurs défaillants. Cette responsabilité pour manquement au devoir de conseil est loin d’être systématique. Tout manquement sera apprécié au jour de la souscription du contrat considéré et des connaissances dont disposait objectivement l’intermédiaire à cette époque. En revanche, il est impératif que ces intermédiaires fassent preuve aujourd’hui de la plus grande transparence à l’égard de leurs clients en les informant de la situation rencontrée.

Les causes multiples de cette crise appellent donc des réponses à plusieurs niveaux. S’il ne s’agit pas de remettre en cause le principe du passeport européen en général, et de la Libre Prestation de Services en particulier, il est en revanche acquis que les modalités de la supervision des acteurs ayant recours à ces modalités d’exercice doivent impérativement évoluer afin d’aboutir à plus de coordination entre les différents superviseurs impliqués, de rapidité d’intervention et de meilleure information publique à l’égard des acteurs du marché. La restauration de la confiance, aujourd’hui écornée, passe avant tout par cette étape. Les organisations professionnelles auront aussi leur rôle à jouer, comme la CSCA l’a fait par le passé en signalant ces dérives aux autorités. Il est observé que des initiatives privées voient le jour pour fournir publiquement un maximum d’informations sur la situation financière
des assureurs.
Tous les acteurs, quel que soit leur niveau, doivent tirer les conséquences de cette crise majeure – dont les effets se produiront dans les années à venir – afin que celle-ci ne se reproduise pas en assurance
construction ou ailleurs…