Codes courtage

Le webzine de PLANETE CSCA

9 mars 2022

Grands risques : Innover est une nécessité

Frédéric Durot est Directeur technique P&C de Diot-Siaci. Il analyse les conditions de marché et de renouvellement pour 2022. Il souligne aussi le rôle que les courtiers peuvent jouer en développant leur expertise et en explorant des solutions alternatives et plus globalement en innovant.

 

Quelle serait votre définition des grands risques ?

Mettons de côté la définition légale des « grands risques » selon l’Article L 111-6 du Code des Assurances français, car je pense que ce n’est pas la question que vous me posez. Un « grand risque » est un concept qui peut recouvrir diverses acceptations, pouvant être cumulatives. Il s’agit donc d’une affaire (c’est-à-dire d’un assuré, ou groupe d’assurés) présentant au moins une des caractéristiques suivantes :

  • Une dimension internationale.
  • Un niveau d’engagement ou de volatilité qui nécessite un partage du risque que ce soit horizontalement (coassurance) et/ou verticalement (montage en lignes).
  • Une nature critique ou complexe. Par exemple, un risque climatique critique de 100 millions d’euros est plus un « grand risque » qu’un risque incendie dans un immeuble de bureaux pour un montant identique. Cette notion de criticité doit entrer en ligne de compte dans l’appréciation des grands risques.
  • Et bien évidemment la taille de l’affaire, en termes de chiffre d’affaires, de nombre de salariés ou de capitaux assurés. Mais là, on reboucle avec la définition précitée du code des assurances.

Ainsi, cette catégorie de risques est aujourd’hui associée à de grandes entreprises, et gérée par des risk managers, dont l’approche est bien distincte du simple achat et gestion de contrats d’assurances.

 

Le marché des grands risques a-t-il fortement changé ces dernières années ?

Le marché des grands risques a en effet beaucoup évolué. Certaines branches traditionnelles comme le Dommage, la RC ou la construction semblent avoir globalement les mêmes caractéristiques qu’il y a 25 ou 30 ans. Ces risques s’appréciaient déjà à l’époque finement et techniquement. Toutefois, les changements sont profonds. Je les situe aux 3 niveaux suivants :

  • L’exposition dite « par évènement » a pris une très grande ampleur. C’est le cas des risques naturels dont l’adversité a cru avec les annus horribilis qui se sont succédé à l’échelle mondiale depuis plus de 20 ans. Ce phénomène devrait s’amplifier d’après l’agenda 2030 et 2050 du GIEC. Mais aussi pour les risques de violences politiques (émeutes, terrorisme…) dont la sensibilité s’est exacerbée. Les risques Cyber, eux, ont fait florès. Même si les entreprises craignaient déjà le bug de l’an 2000 ou celui des GPS du 9 septembre 1999 (le fameux code « 9999 » qui devait tout bloquer), aujourd’hui, toute notre société est tributaire du numérique, et un accident majeur ne paralyserait pas seulement l’industrie mais le quotidien tout entier des entreprises et des particuliers. N’oublions pas non plus les risques de supply chain : la délocalisation des unités de production, pour rechercher des marges économiques supplémentaires, la sous-traitance des tâches pour se concentrer sur leur core business, ou encore l’intégration verticale, rendent les groupes d’autant plus tributaires de leur approvisionnement. Et bien sûr les risques épidémiques ou pandémiques. On parle désormais de risques « systémiques » tant un assureur ou un réassureur donné se retrouve soumis à des expositions isotropes suite à un même événement. Ils doivent donc modéliser et maîtriser leurs cumuls et en rendre compte aux autorités de contrôle dans le cadre « Solvency 2» pour l’Espace Économique Européen;
  • Au-delà de l’exposition par événement, les assureurs sont très inquiets devant les risques critiques à savoir dont le niveau de probabilité et/ou de sévérité est problématique pour eux. Les marchés qualifient cela désormais non plus de « criticité » mais de « volatilité ». Si la volatilité leur est insupportable, il y a un souci d’inassurabilité.
  • Le renforcement des contrôles du fait d’une part de l’évolution des modèles de gouvernance (généralisation du modèle matricé d’origine anglo-saxonne et qui s’est quasiment généralisé en 20 ans, avec désormais une tendance à l’hyper matrice, avec des schémas décisionnels en 3+ D). D’autre part, la mise en œuvre du modèle Solvency 2 dans l’EEE en 2016 (anticipé quelques années auparavant) a contribué à renforcer les contrôles internes inhérents à l’acte de souscrire mais aussi d’indemniser.

Ces facteurs ont donc conduit à une évolution majeure du paradigme des « grands risques » et explique la « crise de l’offre » à laquelle nous sommes exposés. En effet, plus qu’une situation de marché dur (redressement des termes et conditions), la tension actuelle résulte de cette crise de la capacité. Ces dernières existent toujours mais sont dormantes, préservées.

 

L’approche de ces risques a-elle également évolué ?

Il faut aussi comprendre qu’un évènement génère un impact sur plusieurs risques en même temps. De même qu’un accident chez un hébergeur de sites internet de premier plan a des répercussions sur ses très nombreux clients, un évènement climatique majeur impacte en même temps des secteurs variés et parfois insoupçonnés de prime abord. Une approche par les évènements est alors requise, plutôt qu’une approche par les risques eux-mêmes. Ainsi, nous nous rapprochons du fonctionnement de la réassurance Traité qui a toujours distingué cette double lecture (par type de risque et par évènement).

Historiquement, les cumuls étaient estimés par comparaison avec des phénomènes majeurs survenus dans le passé. On prenait le poids de cet événement passé, et on prenait une marge. Par exemple, dans les années 90, un assureur calculait son exposition et ses protections en réassurance, sur le risque cyclonique en fonction du poids sur son propre portefeuille du cyclone Andrew d’août 1992. Il prenait une marge par rapport à celui-ci. Idem en France en Tempête où le repère était la tempête de février 1990, jusqu’à Lothar & Martin fin décembre 1999 où ce raisonnement a atteint ses limites. Désormais, et progressivement depuis 20 ans, on est à l’heure du Cat Modelling, à savoir de la modélisation stochastique préétablie de l’impact d’événements redoutés.

Aujourd’hui, les risques sont plus volatils ce qui impose aux assureurs de réagir en termes tarifaires. Mais s’ajoute à cette première évolution un changement structurel dans la gouvernance des compagnies qui prend en considération les éléments financiers de court terme. Le pilotage de la marge est très serré sous l’influence de la réglementation, principalement Solvabilité 2, qui rend le contrôle incontournable.

La conséquence de cet ultra-contrôle se constate dans l’émergence et la domination aujourd’hui de modèles matricés. Dans ceux-ci, la décision est formée selon des règles strictes, sans dérogation possible et qui échappe à la logique purement géographique de modèle d’affaires.

 

Quelles conséquences pour le courtage ?

Aujourd’hui, l’intermédiation ne peut plus être seulement commerciale. Les courtiers doivent se montrer des partenaires crédibles techniquement, à même de comprendre toutes les problématiques précitées et de traiter d’égal à égal avec les assureurs et les réassureurs afin de les comprendre, mais aussi de les challenger. Ils doivent être également des experts, ou des techniciens capables d’identifier les tiers experts, capables de poser à leurs clients les bonnes questions pour analyser et quantifier leurs risques puis trouver les solutions d’assurance qui correspondent à leur situation actuelle et future.

L’heure est venue pour des modèles de courtiers de niche ou de courtiers généralistes se dotant d’experts pointus. Le côté relationnel reste un facteur-clé dans la capacité à convaincre et à argumenter, mais la base technique devient cruciale pour engager la discussion. La capacité du courtier à analyser et à exploiter les données de risques, à effectuer une analyse quantitative des risques, ce qu’on appelle l’Analytics, devient clé. En matière de grands risques, certains risk managers ont déjà vécu d’autres crises et sont en mesure de prendre du recul. Ils partagent alors les difficultés rencontrées par les courtiers à l’annonce des majorations sur les branches les plus impactées.

D’autres sont sous la pression de leur Direction Achats et peuvent être tentés par le lancement d’appels d’offres, une possibilité délicate à gérer dans les conditions de marché actuelles.

 

Comment se sont passés les renouvellements pour 2022 ?

Nous sommes pour la 4e année consécutive dans un marché difficile. Certes, les exigences des réassureurs se sont renforcées pour 2022, là où depuis 3 ans, les assureurs avaient été moteur du redressement à la différence du cycle 2001/2003 dicté essentiellement par les réassureurs. Les difficultés découlent de la « crise de l’offre » qui est loin d’être finie, notamment pour les expositions les plus critiques : Cyber, événements naturels critiques, rupture de la supply chain, violences politiques, RC professionnelle des nouvelles technologies et des institutions financières, la responsabilité des dirigeants avec des expositions US…

Cette situation nous impose de trouver de nouvelles manières de rechercher un terrain d’entente pour se comprendre via un dialogue constructif.

Pour la partie P&C, nous avons développé une grille d’analyse baptisée « PPRI » :

  • Partenariat : avoir une logique partenariale avec l’assureur pour rechercher les solutions optimales dans l’intérêt des clients. Être partenaire ne signifie pas être complaisant, mais au contraire développer l’exigence,
  • Prévention : une composante évidente de la recherche de solutions,
  • Rétention : examiner toutes les possibilités de création ou de recours plus importantes à des schémas d’auto-assurance notamment par des captives ou toutes autres solutions d’Alternative Risk Transfert,
  • Innovation : quand le marché est dur, explorer de nouveaux chemins de traverse est une nécessité en termes de structure de programme, notamment en traitant les expositions les plus spécifiques ou volatiles auprès de marchés plus à l’aise que les assureurs traditionnels.

Pour vous donner quelques exemples, l’innovation consiste à développer des questionnaires sophistiqués mais pédagogiques en Cyber pour mieux décoder les demandes des assureurs, ou à traiter certains risques naturels critiques par de l’assurance paramétrique, en partie.

Contrairement à la crise de 2001 à 2003 à laquelle de nombreux acteurs font référence, aujourd’hui les solutions techniques (majorations, demandes de prévention, hausse des franchises, revue des wordings) ne suffisent plus. Pour déclencher de l’appétit, nous devons travailler sur la rétention, avoir un discours très structuré sur la prévention, accepter des franchises très importantes, innover dans les montages et outils et élargir les recherches à d’autres marchés, notamment ceux de la réassurance ou des solutions paramétriques.

Propos recueillis par Céline Meslier